24.4.2025

Les émotions interdites de l’entretien annuel

L’entretien annuel : un exercice trop propre pour être vrai

Dans l’imaginaire collectif RH, l’entretien annuel est ce rendez-vous rationnel où l’on dresse le bilan, fixe des objectifs, ajuste des trajectoires. Tout est cadré, balisé, professionnel. Il faut être factuel, constructif, objectif.

Mais derrière cette mise en scène maîtrisée, une autre réalité s’installe : celle des émotions contenues.

Frustration, colère, anxiété, sentiment d’injustice ou d’inutilité… autant de ressentis que les collaborateurs vivent — mais n’expriment pas. Parce qu’ils n’en ont pas le droit. Parce que ce n’est pas “le bon moment”. Parce que, surtout, l’entreprise n’est pas équipée pour accueillir ces vérités-là.

Et pourtant, ce sont elles qui minent l’engagement, érodent la confiance, et installent ce que l’on appelle pudiquement… la “baisse de motivation”.

Ce que l’entretien ne tolère pas : émotions, subjectivité, vulnérabilité

Tout est dans le sous-texte. Quand on dit à un collaborateur :

  • “Soyons factuels.”
  • “Ce n’est pas le lieu pour parler de ça.”
  • “On ne va pas rentrer dans l’émotionnel.”

On ne fait pas que cadrer un échange. On lui indique, plus ou moins consciemment, ce qu’il est autorisé à être.

Dans la plupart des entreprises, l’entretien annuel est conçu comme un outil de performance, pas comme un espace relationnel. Ce qui exclut d’office :

  • Le besoin de reconnaissance émotionnelle.
  • Le sentiment de solitude ou de surcharge.
  • La peur de ne pas être à la hauteur.
  • Le manque de sens.

Autant d’éléments qui pourtant façonnent la réalité vécue du travail.

Ce que ce silence émotionnel produit chez les collaborateurs

Quand on empêche un collaborateur de parler de ce qu’il ressent, il ne se tait pas. Il apprend à dissimuler.

Et cette dissimulation finit par créer une fracture :

  • D’un côté, le discours : neutre, lisse, conforme.
  • De l’autre, le ressenti : invisible, mais omniprésent.

Ce décalage engendre trois phénomènes majeurs :

  1. La déconnexion émotionnelle : on joue un rôle, on donne des réponses attendues. On ne dit pas “je suis à bout”, on dit “je manque un peu de visibilité”.
  2. L’usure invisible : l’incapacité à verbaliser ce qui pèse rend l’épuisement silencieux. Et donc plus dangereux.
  3. La rupture de confiance : si l’entretien ne permet pas de dire ce qui compte, alors à quoi bon ?

Les signaux faibles du désengagement émotionnel

Les RH savent que les départs ne se préparent jamais du jour au lendemain. Le désengagement, lui, commence bien plus tôt. Et l’entretien annuel peut en être le déclencheur — ou le révélateur.

Parmi les signes à surveiller :

  • Des feedbacks vides : “Tout va bien.” “Je n’ai rien à ajouter.” → Ce n’est pas un apaisement, c’est un repli.
  • Une baisse de participation aux échanges informels : la personne ne contredit pas, mais n’adhère plus.
  • Un désintérêt croissant pour les objectifs : on fait ce qu’on doit, sans plus.

Ces micro-signes sont souvent interprétés comme un manque d’implication. En réalité, ils sont les conséquences d’un espace de parole émotionnellement neutralisé.

L’émotion comme matière managériale stratégique (quand elle est bien traitée)

Accueillir les émotions ne signifie pas transformer l’entretien en séance thérapeutique. Cela signifie considérer l’individu dans sa globalité, pas uniquement dans sa productivité.

Des questions simples peuvent déjà ouvrir des portes :

  • “Qu’est-ce qui t’a usé cette année ?”
  • “Qu’est-ce qui t’a redonné de l’énergie ?”
  • “Qu’est-ce qui t’a frustré, même si on n’a pas encore su y répondre ?”

Là où certains managers craignent une déferlante émotionnelle, on découvre souvent des signaux faibles, formulés avec lucidité. Des vérités utiles pour mieux ajuster, décider, anticiper.

Que peut faire un RH pour réintégrer cette dimension dans les entretiens ?

1. Former les managers à l’écoute non défensive

→ Ne pas répondre, ne pas corriger, ne pas relativiser à chaud. Juste écouter, noter, remercier.

2. Repenser les trames d’entretien

→ Intégrer des questions liées à la perception, aux ressentis, aux obstacles émotionnels.

→ Ex. : “À quel moment as-tu douté cette année ?”

3. Créer une culture d’expression authentique, dès l’onboarding

→ Plus l’entreprise autorise l’expression émotionnelle au quotidien, plus l’entretien annuel devient fluide.

4.Rendre la parole utile, pas seulement entendue

→ Prendre des décisions visibles à la suite des entretiens. Donner un retour, même sur les frustrations évoquées.

Ce qu’on ne dit pas à l’entretien est souvent ce qui compte le plus

L’erreur, ce n’est pas d’avoir des émotions au travail.

C’est de penser qu’elles n’ont pas leur place dans l’un des seuls moments où le collaborateur peut parler de lui.

Un entretien sans émotion n’est pas un entretien professionnel :

C’est un exercice de conformité.

Et aujourd’hui, dans un monde du travail en quête de lien, de confiance et de reconnaissance, c’est ce genre de silence qui finit par coûter le plus cher.

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