Dans l’imaginaire collectif RH, l’entretien annuel est ce rendez-vous rationnel où l’on dresse le bilan, fixe des objectifs, ajuste des trajectoires. Tout est cadré, balisé, professionnel. Il faut être factuel, constructif, objectif.
Mais derrière cette mise en scène maîtrisée, une autre réalité s’installe : celle des émotions contenues.
Frustration, colère, anxiété, sentiment d’injustice ou d’inutilité… autant de ressentis que les collaborateurs vivent — mais n’expriment pas. Parce qu’ils n’en ont pas le droit. Parce que ce n’est pas “le bon moment”. Parce que, surtout, l’entreprise n’est pas équipée pour accueillir ces vérités-là.
Et pourtant, ce sont elles qui minent l’engagement, érodent la confiance, et installent ce que l’on appelle pudiquement… la “baisse de motivation”.
Tout est dans le sous-texte. Quand on dit à un collaborateur :
On ne fait pas que cadrer un échange. On lui indique, plus ou moins consciemment, ce qu’il est autorisé à être.
Dans la plupart des entreprises, l’entretien annuel est conçu comme un outil de performance, pas comme un espace relationnel. Ce qui exclut d’office :
Autant d’éléments qui pourtant façonnent la réalité vécue du travail.
Quand on empêche un collaborateur de parler de ce qu’il ressent, il ne se tait pas. Il apprend à dissimuler.
Et cette dissimulation finit par créer une fracture :
Ce décalage engendre trois phénomènes majeurs :
Les RH savent que les départs ne se préparent jamais du jour au lendemain. Le désengagement, lui, commence bien plus tôt. Et l’entretien annuel peut en être le déclencheur — ou le révélateur.
Parmi les signes à surveiller :
Ces micro-signes sont souvent interprétés comme un manque d’implication. En réalité, ils sont les conséquences d’un espace de parole émotionnellement neutralisé.
Accueillir les émotions ne signifie pas transformer l’entretien en séance thérapeutique. Cela signifie considérer l’individu dans sa globalité, pas uniquement dans sa productivité.
Des questions simples peuvent déjà ouvrir des portes :
Là où certains managers craignent une déferlante émotionnelle, on découvre souvent des signaux faibles, formulés avec lucidité. Des vérités utiles pour mieux ajuster, décider, anticiper.
1. Former les managers à l’écoute non défensive
→ Ne pas répondre, ne pas corriger, ne pas relativiser à chaud. Juste écouter, noter, remercier.
2. Repenser les trames d’entretien
→ Intégrer des questions liées à la perception, aux ressentis, aux obstacles émotionnels.
→ Ex. : “À quel moment as-tu douté cette année ?”
3. Créer une culture d’expression authentique, dès l’onboarding
→ Plus l’entreprise autorise l’expression émotionnelle au quotidien, plus l’entretien annuel devient fluide.
4.Rendre la parole utile, pas seulement entendue
→ Prendre des décisions visibles à la suite des entretiens. Donner un retour, même sur les frustrations évoquées.
L’erreur, ce n’est pas d’avoir des émotions au travail.
C’est de penser qu’elles n’ont pas leur place dans l’un des seuls moments où le collaborateur peut parler de lui.
Un entretien sans émotion n’est pas un entretien professionnel :
C’est un exercice de conformité.
Et aujourd’hui, dans un monde du travail en quête de lien, de confiance et de reconnaissance, c’est ce genre de silence qui finit par coûter le plus cher.
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