Pendant longtemps, les soft skills ont été vues comme des qualités “complémentaires”.
Celles qu’on notait sur un CV pour montrer qu’on avait un bon relationnel ou un peu de créativité.
Mais l’essentiel restait ailleurs : dans les compétences techniques, mesurables, tangibles.
Puis le monde du travail a basculé.
Les entreprises ont dû naviguer dans l’incertitude, s’adapter à des normes qui changent sans prévenir, répondre à des générations plus conscientes, plus exigeantes, plus attentives au sens qu’elles donnent à leur quotidien professionnel.
Et face à ce nouveau paysage instable, une conviction s’est imposée dans les organisations :
Ce ne sont plus seulement les compétences techniques qui font la différence, mais la capacité à écouter, inspirer, créer, résister, s’adapter, relier.
Autrement dit : les soft skills sont devenues centrales.
Et c’est là que commence un nouveau paradoxe.
Dans chaque entreprise, il y a des profils qu’on remarque tout de suite.
Pas pour leurs titres, ni leurs années d’expérience.
Mais pour cette manière d’être qui fluidifie les échanges, débloque les conflits, insuffle de l’enthousiasme dans les réunions les plus tendues.
Ces collaborateurs sont souvent dotés de soft skills naturellement fortes.
Et c’est bien là le problème : on finit par compter un peu trop sur eux.
Sans forcément leur dire.
Sans forcément s’en rendre compte.
Ils deviennent :
Et peu à peu, l’exception devient la norme attendue.
Là où les soft skills devraient être une force, elles deviennent parfois un standard implicite à maintenir à tout prix.
Être toujours proactif.
Toujours constructif.
Toujours positif, même quand on fatigue.
Toujours disponible pour “coacher les autres” sans en avoir le titre ni le temps.
La réalité, c’est que certains talents naturellement dotés de soft skills finissent par s’épuiser à force d’incarner ce qu’on attend d’eux.
Et le plus souvent, cela se fait dans le silence.
Parce qu’ils sont ceux qui “vont bien”.
Parce qu’ils sont ceux qui “savent faire”.
Ce phénomène ne touche pas seulement ceux qui sont déjà en poste.
Il affecte aussi le marché du recrutement.
Aujourd’hui, candidater implique presque d’avoir déjà intégré tout un capital de soft skills :
Cette exigence crée une pression nouvelle.
Autant pour les candidats qui ne s’y retrouvent pas, que pour les recruteurs qui peinent à faire la part entre le “savoir-être appris” et le “savoir-être projeté”.
Mais surtout, cela laisse entendre que seuls les profils “évidemment” doués pour les soft skills ont de la valeur.
Ce qui est faux.
Et dangereux.
Le véritable enjeu aujourd’hui, ce n’est pas d’identifier les talents naturellement charismatiques, empathiques ou créatifs.
C’est de créer un environnement dans lequel chacun peut apprendre, expérimenter et développer ses soft skills.
Car oui, ces compétences relationnelles et comportementales :
Et inversement : elles s’éteignent dans des environnements où l’on attend toujours plus d’eux qui donnent déjà beaucoup.
Plutôt que de chercher uniquement ceux qui ont “déjà” les soft skills recherchées, posons-nous la question :
Et surtout :
Ce n’est pas une critique.
C’est un appel à élargir la vision RH :
Les entreprises ont raison de chercher des talents capables de relier, de fédérer, d’inspirer.
Mais elles gagneraient aussi à reconnaître que ces qualités, aussi précieuses soient-elles, ont besoin d’espace, d’équilibre, et de respiration.
Parce qu’un collaborateur naturellement doté, s’il n’est jamais protégé, peut finir par s’éteindre.
Et c’est une perte que ni les compétences techniques, ni les meilleures stratégies ne pourront compenser.
Un projet, une idée ou une question ?