10.4.2025

Recruter sur les soft skills : inclusion ou sélection déguisée ?

Quand recruter autrement ne veut pas toujours dire recruter mieux

Dans le monde RH d’aujourd’hui, un mot a pris une place énorme : soft skills.

À tel point que certaines entreprises affichent fièrement qu’elles recrutent « des personnalités, pas des diplômes ». C’est séduisant. Moderne. Inclusif.

Mais il y a une question que peu osent poser :

Et si cette volonté de recruter « autrement » n’était, dans certains cas, qu’un nouveau filtre déguisé en bienveillance ?

Car derrière l’apparente ouverture des critères comportementaux se cache souvent une subjectivité difficile à cadrer, qui peut renforcer des biais, créer de la frustration chez les candidats et exclure sans justification.

Le récit séduisant des soft skills : diversité, authenticité, adaptabilité

D’un point de vue RH, cette tendance part d’un bon réflexe : les entreprises ont compris qu’un bon collaborateur ne se résume pas à un diplôme, un parcours ou une expertise technique.

Ce qu’on cherche aujourd’hui, ce sont des personnes :

  • Capables de s’adapter à l’incertitude.
  • À l’aise dans les échanges transverses.
  • Dotées d’intelligence émotionnelle.
  • Créatives, humaines, fiables.

Autrement dit : capables de naviguer dans un monde instable selon la thèse de Hilda Marshll (Walden University, 2023).

Et cette quête d’“agilité humaine” a donné lieu à une explosion du recrutement orienté soft skills — avec parfois un discours fort :

« Chez nous, on recrute des êtres humains avant de recruter des CV. »

Mais ce discours, aussi noble soit-il, mérite d’être challengé.

L’illusion de l’ouverture : toutes les soft skills ne sont pas socialement neutres

Ce qu’on appelle soft skills sont en réalité des comportements selon AISSMS… observables par celui qui recrute.

Et c’est là que le bât blesse : car ce qu’on observe est influencé par notre propre perception. Et cette perception dépend :

  • Du genre.
  • De l’origine.
  • De la culture professionnelle.
  • De notre rapport à l’émotion, à la parole, à la posture.

Exemple concret : un candidat introverti peut faire preuve de réflexion, d’écoute active et de stabilité émotionnelle.

Mais dans un entretien, il semblera “froid”, “pas assez dynamique”...

Et sera écarté au profit d’un profil plus “vivant” mais pas nécessairement plus compétent.

Le danger ?

On crée une norme comportementale implicite. Et cette norme exclut ceux qui ne maîtrisent pas les codes. Pas forcément ceux qui manquent de potentiel.

Recruter sur les soft skills : un terrain glissant si mal cadré

Lorsqu’on recrute sur les soft skills sans cadre clair, on ouvre la porte à :

  • L’effet miroir : je recrute ceux qui me ressemblent.
  • L’effet halo : une bonne impression suffit à valider toutes les compétences.
  • L’effet “fit culturel” : je cherche quelqu’un qui colle à l’ambiance, pas au poste.

Ces biais sont d’autant plus dangereux qu’ils sont difficiles à détecter, car souvent inconscients.

En clair :

  • Le risque n’est pas de recruter sur les soft skills.
  • Le risque, c’est de les évaluer à l’intuition, sans méthode.

Les vrais exclus du recrutement comportemental

Ce ne sont pas toujours les “mauvais candidats” qui se heurtent aux soft skills.

Ce sont :

  • Les neuroatypiques, qui peuvent gérer des crises avec brio, mais peinent à exprimer leurs émotions “comme il faut”.
  • Les profils issus de milieux modestes, moins exposés à l’aisance relationnelle attendue.
  • Les autodidactes, qui compensent par la créativité, mais n’ont pas les codes de la communication corporate.
  • Les professionnels seniors, dont les qualités d’endurance ou de vision sont sous-évaluées face à une “énergie” plus jeune.

Et si recruter sur les soft skills ne devient pas un exercice d’équité... il peut vite devenir un outil de conformisme.

Recruter sur les soft skills, oui… mais avec éthique et structure

Voici les 4 conditions pour que le recrutement comportemental devienne un vrai levier d’inclusion :

1. Contextualiser les soft skills

Chaque poste demande des soft skills différentes. On ne demande pas la même chose à un chargé de relation client qu’à un chef de projet IT.

Il faut donc définir des soft skills spécifiques à chaque fiche de poste, et non piocher dans une liste “à la mode”.

2. Objectiver l’évaluation

Utiliser :

  • Des mises en situation (à l’écrit, à l’oral ou en binôme).
  • Des grilles d’observation partagées.
  • Des scores croisés (RH + managers + pair).

3. Former les recruteurs aux biais cognitifs

Parce que le “ressenti” est souvent un piège.

Et que ce n’est pas parce qu’un candidat est moins à l’aise à l’oral qu’il est moins compétent émotionnellement.

4. Valoriser la diversité des expressions comportementales

Un bon collaborateur peut être silencieux, méthodique, analytique.

Tout comme il peut être spontané, expressif et créatif.

Ce n’est pas le style qui compte, c’est la capacité à agir dans son rôle.

Ne faisons pas des soft skills les nouveaux diplômes implicites

Recruter sur les soft skills peut être un formidable levier d’inclusion, si et seulement si on accepte de sortir du flou, de l’intuition et des stéréotypes comportementaux.

Les RH ont entre leurs mains une opportunité unique :

Rendre l’humain central sans exiger une norme unique d’humanité.

Et cela suppose une posture exigeante, nuancée, humble — mais terriblement stratégique.

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